« Monster », l’opus de 1994 du groupe de rock alternatif américain R.E.M., est un album qui marque un tournant audacieux dans la discographie du groupe. Après le succès commercial et critique de « Out of Time » en 1991 et de « Automatic for the People » en 1992, albums qui ont consolidé la réputation de R.E.M. en tant que groupe de rock alternatif avec une sensibilité pop, « Monster » représente un virage vers un son plus brut, plus électrique, et une esthétique glam rock tranchant avec leurs travaux antérieurs.
Le contexte de création de « Monster » est essentiel pour comprendre l’énergie et l’intention derrière l’album. Au début des années 90, le paysage musical était dominé par le grunge et le rock alternatif, avec des groupes comme Nirvana et Pearl Jam en tête de liste des charts. R.E.M., déjà bien établi et respecté pour son approche mélodique et ses paroles introspectives, a pris un risque en s’engageant dans une direction résolument plus abrasive et expérimentale.
Le groupe, composé de Michael Stipe au chant, Peter Buck à la guitare, Mike Mills à la basse et Bill Berry à la batterie, s’est lancé dans la création de « Monster » avec l’intention de faire un album qui serait non seulement puissant sur disque, mais qui traduirait aussi l’énergie brute des performances live. Cet objectif a été atteint avec succès; « Monster » est imprégné d’un son de guitare tranchant et d’une présence scénique qui rappelle les concerts électrisants de R.E.M.
L’album s’ouvre sur « What’s the Frequency, Kenneth? », un titre qui fait immédiatement sentir le changement de ton. La guitare de Peter Buck, caractérisée par des distorsions lourdes et des riffs accrocheurs, se taille la part du lion sur ce morceau. Le titre de la chanson fait référence à un incident bizarre impliquant le journaliste Dan Rather, qui a été agressé par un inconnu lui demandant répétitivement « What’s the frequency, Kenneth? ». Ce choix d’ouverture est une déclaration d’intention, signifiant que R.E.M. est prêt à explorer des terrains inconnus, aussi bien dans le son que dans le contenu.
Les thèmes de « Monster » sont divers, allant de la célébrité (« Crush with Eyeliner ») à la sexualité (« Strange Currencies ») et à l’identité personnelle (« King of Comedy »). Michael Stipe, dont les paroles avaient souvent été énigmatiques dans les albums précédents, utilise ici des paroles plus directes et engageantes. La chanson « Let Me In » est un hommage poignant à Kurt Cobain, leader de Nirvana, qui était un ami proche de Stipe et qui s’est suicidé la même année où « Monster » a été enregistré. La douleur et la confusion ressenties par Stipe transparaissent dans la chanson, avec des paroles qui touchent profondément et une mélodie qui transporte l’auditeur dans un espace de réflexion intime.
La production de l’album, dirigée par Scott Litt, qui avait déjà travaillé avec R.E.M. sur plusieurs de leurs albums précédents, ajoute à l’atmosphère chargée et intense de « Monster ». L’utilisation audacieuse de la réverbération, des boucles de guitare, et des effets sonores contribue à créer une ambiance qui complète parfaitement le son live que le groupe voulait capturer.
« Monster » n’a cependant pas été sans controverses. Certains fans de longue date ont été déconcertés par le changement de direction, tandis que d’autres ont salué l’audace de R.E.M. à expérimenter et à se réinventer. L’album a également été critiqué par certains pour son manque de cohérence, chaque chanson étant très différente de la suivante, donnant l’impression d’un manque d’unité. Malgré ces critiques, « Monster » a connu un succès commercial, propulsé par des singles comme « Bang and Blame » et « Star 69 ».
Le visuel de « Monster » est également un élément à ne pas négliger. La pochette, conçue par Chris Bilheimer et Michael Stipe, représente un ours en peluche orange vif devant un fond bleu, un choix énigmatique qui semble jouer sur la notion de contraste et de surprise, tout à fait en phase avec l’audace de l’album lui-même.
La tournée qui a suivi la sortie de « Monster » a été l’une des plus grandes et des plus théâtrales de R.E.M., avec des décors élaborés et une mise en scène qui reflétait l’esthétique glam et exubérante de l’album. Cette tournée a renforcé la réputation du groupe en tant que performers exceptionnels, capable de créer une connexion profonde avec son public.
En conclusion, « Monster » reste un chapitre fascinant dans la carrière de R.E.M. Avec cet album, le groupe a prouvé qu’il n’était pas enfermé dans un seul style ou genre, mais qu’il était capable d’évoluer et de prendre des risques créatifs. Cet esprit d’innovation et de réinvention continue d’influencer les artistes à ce jour, et « Monster » est souvent cité comme une influence majeure par de nombreux musiciens contemporains. Il représente l’essence même du rock alternatif des années 90, un mélange de mélancolie et de rébellion, une œuvre qui continue de résonner et d’inspirer.