« Anthems for Doomed Youth », un album qui a ressurgi des cendres d’un groupe tumultueux et largement aimé, The Libertines. La sortie de cet album en 2015 a été saluée comme le retour inattendu d’un groupe qui avait disparu de la scène musicale après avoir laissé derrière lui un héritage tumultueux et passionné. Pete Doherty et Carl Barât, les deux fronts du groupe, étaient revenus ensemble, recréant l’alchimie qui avait, à l’origine, captivé tant de fans. Naviguant à travers les dédales des méandres poétiques, le groupe, complété par John Hassall (basse) et Gary Powell (batterie), a su nous livrer un album qui, bien qu’imprégné de maturité relative, n’a pas manqué de faire écho aux anthems rebelles et déchirantes pour lesquels ils étaient tant aimés.
« Anthems for Doomed Youth » évoque, comme son nom le suggère, un sentiment de désespoir juvénile et une nostalgie amère qui traverse l’ensemble de l’album. Les thèmes centraux explorent les jeunes perdus, la rébellion, l’auto-destruction, ainsi que l’amitié et la trahison, tout cela baigné dans une ambiance mélancolique, mais paradoxalement énergique et engagée.
Le morceau titre de l’album est un hommage au poète de la Première Guerre mondiale, Wilfred Owen, et à son poème « Anthem for Doomed Youth ». Les paroles décrivent des jeunes hommes envoyés à la guerre, leurs vies tragiquement écourtées par les conflits mondiaux. L’adaptation des Libertines reprend ces thèmes en les appliquant à la jeunesse moderne, jetant un regard critique sur une société qui laisse ses jeunes s’embourber dans les affres de la drogue et de la désillusion. Les “hymnes” dans les chansons de l’album sont ceux de la jeunesse perdue, des amis disparus et des amours déchirées.
La piste « Gunga Din », une réflexion brutale sur la lutte contre la toxicomanie, dépeint la bataille interne de Doherty avec ses propres démons. Le titre est une référence au poème de Rudyard Kipling, qui raconte l’histoire d’un soldat britannique en Inde coloniale. Les parallèles sont dessinés entre les batailles du soldat et les luttes personnelles du chanteur avec des images qui s’entrelacent dans une mélopée de regret et de rédemption perdue. L’utilisation de références littéraires montre une certaine maturité dans l’écriture des paroles, tirant des liens entre les œuvres classiques et les combats très réels et contemporains.
Un autre morceau notable, « Barbarians », commence par un enregistrement vocal de la mère de Doherty, racontant une anecdote sur son fils, alors adolescent, qu’elle a découvert dans son lit, saoul et inconscient. L’album se construit autour de ce type d’imagery, puisant dans les erreurs du passé pour créer une toile de fond pour l’histoire présente. « Barbarians » représente une rébellion vis-à-vis des attentes sociétales et une bravade confrontée aux propres limites de la destruction personnelle.
Par contre, « You’re My Waterloo » expose la vulnérabilité sous les débris, dévoilant une tendresse souvent masquée par le chaos qui a souvent entouré le groupe. C’est une ballade qui parle d’amour, de douleur, de Londres et de la complexité des relations interpersonnelles, suggérant que, sous le tumulte, il y a une quête profondément humaine d’appartenance et de connexion.
« Anthems for Doomed Youth » se distingue par son exploration des thèmes du chaos, de l’amour, de la perte, et de la rédemption, tout en établissant un parallèle entre l’histoire personnelle du groupe et les histoires universelles de la jeunesse déchue. Cet album démontre comment The Libertines sont parvenus à transformer leur tumulte passé et présent en une œuvre qui résonne avec authenticité et urgence.
L’album n’est pas simplement un retour pour le groupe ; il est aussi un symbole de survie, présentant une réunion de musiciens qui ont traversé des décennies de conflits, de toxicomanie et de désintégration, pour se retrouver de l’autre côté avec quelque chose qui ressemble à de l’espoir et à une compréhension plus profonde d’eux-mêmes et de leur art.
Là où « Anthems for Doomed Youth » excelle réellement, c’est dans sa capacité à créer un espace où le bruit, la rébellion, et le chaos coexistent avec une poésie douce et déchirante, rappelant à tous ceux qui écoutent que dans toute destruction, il y a une beauté potentiellement sauvage et inattendue.
Malgré une maturité nouvellement acquise, The Libertines n’ont rien perdu de leur essence anticonformiste et rebelle. L’album se nourrit de cette énergie brutalement honnête, faisant écho aux précédents succès du groupe tout en gravitant vers des thèmes plus sombres et plus introspectifs. En définitive, « Anthems for Doomed Youth » sert à la fois de méditation sur le passé et de manifeste pour un avenir incertain, symbolisant une bande qui a refusé de mourir silencieusement, choisissant plutôt de rugir dans le visage de leur propre mortalité.