« Ghosteen, » l’album de Nick Cave and the Bad Seeds, est plus qu’une simple collection de chansons ; c’est un voyage à travers le deuil, l’amour et l’existentialisme, un miroir dans lequel l’artiste se reflète avec une transparence déchirante et une vulnérabilité palpable. Sorti en 2019, cet album double témoigne de la manière dont le chanteur-compositeur explore sa douleur après la perte tragique de son fils Arthur, qui est décédé en 2015.
La première partie de l’album, qui constitue le premier disque, est un recueil de huit chansons. Des paroles cryptiques et des mélodies aériennes engendrent un état méditatif, chaque piste fonctionnant comme un poème mélodieux et obsédant, plongeant l’auditeur dans un état de réflexion intérieure. Les mélodies sont délicates, voire célestes, avec des synthés qui enveloppent et caressent la voix profonde et parfois murmurée de Cave. La production est minimaliste, permettant aux paroles de se tenir au premier plan, une fenêtre ouverte sur l’âme tourmentée de l’artiste.
La piste d’ouverture, « Spinning Song, » parle d’Elvis Presley, mais au-delà de l’icône du rock’n’roll, elle sert de métonymie pour l’artiste lui-même, voire pour tout un chacun. Le roi, épuisé, rêve d’une montée transcendante vers le ciel dans un cercueil en feu. C’est un tableau visuel puissant de la mortalité et de la persévérance de l’esprit dans l’au-delà.
« Ghosteen, » la piste-titre, est une méditation surnaturelle sur le deuil et la présence persistante des défunts. Le « petit fantôme » dont parle Cave peut être interprété comme son fils, dont l’esprit réconfortant et douloureux semble imprégner l’ensemble de l’album. Les « parents » qui voyagent « en cercles infinis » symbolisent un deuil sans fin, une recherche constante de paix et de compréhension au milieu de la perte.
Le second disque est plus court, mais chaque chanson est une épopée en soi. Le format est légèrement différent, les chansons sont plus longues, plus expansives et se développent avec une intensité discrète mais puissante. « The Spinning Song, » « Bright Horses, » « Waiting for You, » et bien d’autres morceaux sont des exemples frappants de comment Cave manipule le langage pour explorer la douleur, l’attente et l’amour avec une tendresse et une beauté indéniables.
« Ghosteen » s’ouvre et se ferme sur des notes de mystère et de contemplation, il suggère que la vie, tout comme l’album, est un cycle de bonheur et de douleur, d’attentes et de désillusions, et que même dans les moments les plus sombres, la lumière – bien que distante et parfois indistincte – persiste.
La musique dans « Ghosteen » est une étape importante dans le son des Bad Seeds. Les sonorités électroniques prennent le dessus sur les arrangements plus orientés rock des œuvres antérieures. Les synthétiseurs planants, les chœurs célestes et les percussions discrètes créent un monde sonore immersif et éthéré, qui se marie parfaitement avec le thème fantomatique de l’album.
Nick Cave, avec sa voix profonde et son timbre distinctif, a toujours eu la capacité de plonger profondément dans l’émotion de l’auditeur, mais avec « Ghosteen, » il canalise sa douleur d’une manière qui est non seulement belle, mais aussi terriblement humaine et universellement accessible. Sa voix, parfois fragile et pleine de désespoir, nous invite dans son monde intérieur, où il lutte avec les questions les plus fondamentales de l’existence, de l’amour et de la perte.
Les morceaux du second disque, « Hollywood » en particulier, exploitent ce sentiment d’errance, d’exploration du mythique et du spirituel. Cave parle de l’histoire de Kisa Gotami dans les textes bouddhistes, une mère en deuil qui est envoyée pour trouver une graine de moutarde d’une maison où personne n’est mort, seulement pour réaliser que la mort est une universelle. La leçon poignante de Gotami résonne avec la propre expérience de deuil de Cave, et l’histoire se fond dans sa narration, établissant des liens entre le personnel, le mythique et l’universel.
« Ghosteen » est une œuvre qui émeut, non seulement à travers le prisme de la propre perte tragique de Cave, mais également en nous engageant tous à faire face à nos propres fantômes, qu’ils soient réels, imaginaires ou métaphoriques. L’album ne propose pas de réponses simples ou de réconfort facile, mais plutôt un espace où le chagrin, l’amour et la beauté peuvent coexister dans une harmonie déchirante et exquise.
En somme, « Ghosteen » sert à la fois de thérapie et de méditation pour Cave lui-même et offre aux auditeurs un espace sacré pour explorer leurs propres abîmes intérieurs. Chaque note et chaque mot semblent imprégnés d’une signification et d’une intention délibérées, faisant de l’album un sanctuaire de son et d’émotion. C’est une ode à l’amour infini, à la perte dévastatrice et à la persistance de la beauté et de l’espérance même dans les moments les plus sombres. À travers « Ghosteen, » Cave nous rappelle que même dans notre douleur la plus profonde, nous ne sommes jamais vraiment seuls.