L’album « The Epic » de Kamasi Washington est un voyage musical colossal, une fresque sonore qui déploie son envergure sur trois volumes et près de trois heures d’écoute. Sorti en 2015, cet album a instantanément propulsé le saxophoniste Kamasi Washington sur le devant de la scène jazz mondiale, le consacrant comme l’un des artistes les plus innovants et influents de sa génération.
Pour comprendre « The Epic », il convient d’abord de se plonger dans l’univers de Kamasi Washington. Né à Los Angeles en 1981, Washington a grandi dans une famille baignée par la musique. Son père, Rickey Washington, également saxophoniste et flûtiste, a été son premier mentor. Après avoir étudié à l’Academy of Music of Alexander Hamilton High School, puis à UCLA, il a rapidement commencé à jouer avec des artistes de renom tels que Herbie Hancock, Wayne Shorter, et plus tard, a participé à l’album « To Pimp a Butterfly » de Kendrick Lamar, une œuvre qui a elle-même redéfini les contours du hip-hop.
« The Epic » ne se résume pas à un simple album de jazz. C’est une œuvre qui brise les frontières entre les genres. On y retrouve des influences issues du gospel, du classique, du funk, de la soul et même du hip-hop, le tout enveloppé dans une structure jazz. L’album débute avec « Change of the Guard », une pièce qui met la table pour le festin auditif à venir. Le morceau établit immédiatement la grandeur de l’album, avec des arrangements d’une richesse rare et une section rythmique puissante qui lance l’auditeur dans une aventure épique.
Le personnel de l’album est une véritable armada musicale, avec un double trio de batterie, basse, et piano, une section de cuivres, un chœur et un orchestre à cordes. Cette assemblée est le West Coast Get Down, un collectif de musiciens basé à Los Angeles qui inclut des talents comme le batteur Ronald Bruner Jr., le bassiste Thundercat (Stephen Bruner), et le trompettiste Igmar Thomas, pour ne nommer qu’eux. Ces musiciens ne se contentent pas de jouer des notes, ils ajoutent leur voix à un récit qui se déploie à travers les titres de l’album.
Chaque morceau de « The Epic » est une histoire en soi, mais ensemble, ils forment un récit cohérent. Prenons par exemple « The Magnificent 7 », qui évoque des images de paysages cinématographiques et d’exploits héroïques, ou « The Message », qui délivre un sentiment d’urgence et de révélation. « Askim » est une pièce qui se distingue par sa mélancolie douce-amère et ses montées en intensité qui semblent défier la gravité.
La pièce « Re Run » commence par une introduction au piano qui donne le ton avant que le groupe ne se lance dans une mélodie enjouée et un groove contagieux. « Seven Prayers » se distingue par son atmosphère méditative, et « Henrietta Our Hero » est un hommage émouvant à la grand-mère de Washington, qui évoque une profondeur émotionnelle à travers des mélodies poignantes et un arrangement de cordes somptueux.
Le sommet de « The Epic » est peut-être « The Rhythm Changes », chanté par Patrice Quinn. Sa voix soulful, combinée aux arrangements luxuriants, crée un morceau qui est à la fois ancien et nouveau, évoquant les grands classiques du jazz tout en poussant la musique vers l’avenir. C’est ici que la vision de Kamasi Washington se concrétise pleinement, dans la fusion des traditions et de l’innovation.
« The Epic » est également notable pour son esthétique visuelle. La pochette de l’album, avec son portrait de Washington entouré d’un halo mystique, renvoie à l’imaginaire des contes anciens et des légendes. Elle reflète la grandeur et l’ambition de la musique contenue à l’intérieur.
L’impact de « The Epic » dépasse largement les cercles du jazz. L’album a été salué par la critique et a reçu des éloges de la part de musiciens de divers horizons. Il a introduit une nouvelle génération d’auditeurs à la richesse du jazz, tout en respectant et en s’appuyant sur les traditions de ce genre musical. Kamasi Washington ne s’est pas contenté de faire un album de jazz de plus; il a créé une œuvre qui sert de pont entre les anciens et les nouveaux, entre les différentes facettes de la musique afro-américaine, et entre le jazz et le grand public.
La sortie de « The Epic » a coïncidé avec un renouveau d’intérêt pour le jazz, non seulement comme une forme d’art historique mais comme un moyen d’expression contemporain et pertinent. Washington et son collectif ont montré que le jazz pouvait encore être révolutionnaire, qu’il pouvait encore raconter des histoires, soulever des questions et offrir une expérience transcendante.
En conclusion, « The Epic » de Kamasi Washington est plus qu’un album, c’est une déclaration d’intention, un manifeste qui revendique le pouvoir du jazz comme véhicule d’expression, d’innovation et d’unité. Il rappelle aux auditeurs que la musique peut être à la fois profondément personnelle et universellement significative. Avec « The Epic », Kamasi Washington n’a pas seulement gravé son nom dans la pierre du Panthéon jazzistique, il a ouvert une porte à travers laquelle de futures générations de musiciens et d’auditeurs pourront passer pour découvrir la beauté infinie du jazz.